La guerre de cent ans, vous connaissez ? Non, pas celle contre les Anglais, il y a bien longtemps, celle actuelle, russo-américaine qui se cristallise en Ukraine. Comme son nom l’indique, elle a débuté il y a une centaine d’années par une querelle scientifique. Au-delà de l’Atlantique, faisant suite aux travaux du moine Mendel, l’équipe de Morgan établissait la théorie chromosomique de l’hérédité, tandis que, en deçà, le soviétique Lyssenko prônait l’héritabilité des caractères acquis.

Dans un cas, ce sont les gènes, ces structures assemblées dans l’ADN, qui déterminent ce que nous sommes et ce que sera notre descendance. Dans l’autre cas, c’est le milieu, l’environnement, qui peut modifier les caractéristiques d’un individu, qui se transmettrons aux générations suivantes.

Il s’en est suivi une longue bagarre scientifico-idélogique car la théorie de Lyssenko allait dans le sens voulu par Staline pour lequel il n’y avait de pravda – de vérité – que dans le monde communiste. Beaucoup de scientifiques soviétiques ont payé de leur carrière, et pour certains de leur vie, de ne l’avoir pas suivi dans cette voie. Inversement, en Occident, Lyssenko était considéré comme anti-scientifique tant était forte la certitude que seuls les gènes déterminent ce qui est transmis d’une génération à l’autre. Etonnamment, les généticiens français n’avaient pas une opinion aussi tranchée et gardaient une certaine sympathie pour le lyssenkisme. Sans doute étaient-ils sensibles à son aspect « science prolétarienne ».

Qu’en est-il aujourd’hui ? Si on ne parle plus de l’hérédité des caractères acquis, les gènes sont quelque peu descendus de leur piédestal. Entre-temps il s’est produit une révolution, déclenchée par le séquençage du génome. Rappelons en deux mots que les molécules d’ADN forment un message codé constitué de quatre éléments chimiques, les bases. Dans notre génome, ces bases sont au nombre de trois milliards. Elles sont prises par groupes de trois pour former les « lettres » du message, lesquelles sont regroupées en unités de différentes tailles ; ce sont les gènes.

Le séquençage, de notre génome, c’est-à-dire la lecture de nos gènes, était au départ, il y a environ trente ans, une entreprise colossale qui a mobilisé de gros laboratoires pendant plusieurs années. On en imagine le coût. Les techniques ont depuis progressé de façon fulgurante, si bien que le temps se chiffre actuellement en heures et le prix une poignée d’Euros.

Il a été ainsi établi que le génome humain est constitué de quarante mille gènes. Ce chiffre peut paraitre considérable, mais personnellement j’ai immédiatement perçu, au contraire, que c’est bien peu. Il faut avoir à l’esprit l’incommensurable complexité de l’édification et du fonctionnement d’un être humain.

Les gènes établis par Morgan sont dits structuraux. Ce sont ceux à partir desquels vont se construire les protéines. Plus tard ont été mises en évidence des séquences d’ADN exerçant une activité de régulation, séquences dites promotrices, qui déclenchent l’activité, ou d’autres régulatrices qui peuvent la stimuler ou au contraire l’inhiber. La mise en évidence de ces séquences régulatrices a valu le prix Nobel à Jacques Monod et ses collaborateurs. L’activité de ces séquences régulatrices varie selon le tissu en cause, les conditions physiologiques ou pathologiques. Elles font partie intégrante du génome.

Se sont ajoutées à cela de petites séquences de matériel génétique qui exercent une fonction de régulation sans être intégrées au génome, ce sont les microRNA (miRNA), de petites molécules d’ARN, donc. Elles se répartissent en différentes familles, exerçant différents types d’activité régulatrice. Depuis leur découverte, leur nombre ne cesse de croître.

D’autres éléments sont venus récemment complexifier le tableau. Ce sont d’abord certaines séquences géniques appelées pseudogènes, que l’on croyait inertes et qui s’avèrent capables de fonctionner comme des gènes authentiques. Puis viennent les transposons.  Ce sont là encore des séquences géniques qui peuvent s’insérer dans des gènes, se déplacer dans la molécule d’ADN, ou s’en extraire, en modifiant leur activité. Etant intégrés à des gènes, ils peuvent participer, de façon plus ou moins contrôlable, à la transmission des caractères, donc à l’hérédité. La découverte de ces éléments transposables chez le maïs a valu le prix Nobel à Barbara McClintock en 1983.

Ce n’est pas tout, s’ajoute à cela  l’épigénétique, autrement dit les facteurs, extérieurs au génome, qui influent l’activité des gènes sans pour autant modifier leur séquence.

Citons dans ce domaine la méthylation de l’ADN. Ce sont de petits éléments chimiques, des groupement méthyl, qui se lient aux bases. C’est une modification chimique qui inactive certains gènes, dans certaines conditions et peuvent être réversibles. Cette inactivation permet, par exemple, de rétablir l’équilibre entre mâles et femelles chez la Mammifères, y compris chez l’homme, car les unes présentent deux chromosomes XX face aux XY des autres. Elles ont donc par rapport aux mâles un  chromosome X supplémentaire qui est inactivé par méthylation faute de quoi les conséquences seraient gravissimes,  comme dans le cas de la trisomie 21, maladie caractérisée par la présence d’un chromosome X (le 21) surnuméraire.

La méthylation des bases de l’ADN n’est qu’un aspect de l’épigénétique. Il y en a bien d’autres. Ce domaine s’est complexifié et étendu, au point que l’on parle maintenant d’épigénomique.

Résumons, aux gènes structuraux du départ se sont ajoutés les gènes régulateurs, puis les micro-séquences, les transposons et les pseudogènes. Tout cela constitue le génome. Il faut y adjoindre tous les autres facteurs susceptibles d’agir sur la physiologie cellulaire sans modifier le génome, c’est l’épigénome.

Ce n’est pas tout. Chaque être vivant est d’une manière ou d’une autre adapté à son environnement. Les exemples fourmillent. Le chameau, adapté au désert, peut rester plusieurs jours sans boire en supportant des températures très élevées ; il a des pieds larges pour la marche sur le sable, etc.. L’adaptation est l’acquisition de caractères morphologiques et physiologiques en relation avec le milieu, caractères qui se transmettent d’une génération à l’autre. On ne parle pas ici d’héritabilité de caractères acquis, mais ça y ressemble.

Revenons à la notion stricte d’héritabilité des caractères acquis, c’est-à-dire héritabilité qui n’implique pas directement le génome. Se vérifie-t-elle ? Oui. C’est le cas notamment de « l’empreinte olfactive ». Le phénomène a été clairement démontré avec de petits vers microscopiques, véritables animaux de laboratoire. Leur exposition à certains éléments olfactifs, ou gustatifs, à des moments particuliers de leur vie, modifie leur comportement. Cela peut être une attraction ou au contraire une répulsion vis-à-vis d’odeurs ou de goûts. Ce comportement persiste durant toute la vie de l’animal et, surtout, se transmet à la descendance. Il s’agit bien d’un caractère, non pas morphologique mais comportemental, qui est acquis du fait de l’environnement et qui est transmis aux générations futures.

L’empreinte olfactive peut se vérifier facilement. Demandez à une personne quel est son plat préféré, elle vous parlera immanquablement de son enfance. Cette préférence se retrouve-t-elle chez ses enfants, il est difficile de l’établir du fait de la complexité du comportement humain. Pour notre petit ver de laboratoire la réponse est claire. Il s’agit bien de la transmission d’un caractère acquis. Dans ce cas précis, aucun gène n’est concerné. Ce qui est transmis ce sont des chémorécepteurs, autrement dit des structures membranaires réceptives à des composés chimiques.

Conclusion, les êtres vivants font feu de tous bois, mettant à profit une infinité de structures et de facteurs divers pour naître et se maintenir en vie, eux-mêmes et leurs descendants.

Moralité, la vie est trop belle pour se laisser enfermer dans des querelles de clocher, au grand dam des sectaires de tous poils et pour notre bonheur d’être sur terre.

 

  1. Rémy J.J. and Hobert O. An interneuronal chemoreceptor required for olfactory imprinting in C. elegans. Science, 309 (5735):787-90.