II – Hydrogène source de santé

Ce 24 octobre 1996, comme chaque semaine j’ouvre le dernier numéro de la revue londonienne Nature, et je vais directement à la rubrique Daedalus de David Jones. Ce jour-là ma vie scientifique allait prendre une nouvelle orientation.

Nature est la revue de référence des scientifiques du monde entier (les Comptes Rendus de notre Académie des Sciences aurait pu tenir rôle comparable, mais… Je reviendrais sur cette question dans une autre rubrique). David Jones se livrait chaque semaine à une prospective que j’appréciais car rares sont ceux dotés d’un minimum de vision à long terme. Si l’exercice est parfois hasardeux, il est toujours intéressant.

Ce 24 octobre, donc, la rubrique était intitulée Gas therapy (Thérapie gazeuse) (1). David Jones avançait l’idée d’utiliser l’hydrogène comme médicament anti-inflammatoire. Je sautais sur l’idée. Notre recherche à la fac de médecine de la Timone portait justement sur des problèmes d’inflammation exacerbée occasionnée par des parasites. L’inflammation est une arme redoutable utilisée par les êtres vivants, animaux comme plantes, pour se défaire des agents pathogènes particulièrement coriaces. Comme toute arme redoutable, elle doit être mise en œuvre avec précaution sous peine d’être pire que le mal, ce qui était le cas pour les maladies tropicales objet de notre recherche.

L’hydrogène pourrait-il jouer ce rôle modulateur et contrer une inflammation qui s’emballe ? J’entrepris de le savoir. Il me fallait pour cela de l’hydrogène, que je n’eus pas à chercher bien loin : la société marseillaise Comex, célèbre pour ses engins d’exploration sous-marine, étudiait la possibilité d’adjoindre de l’hydrogène dans le mélange respiratoire de plongeurs en grande profondeur. J’écrivis donc à son directeur scientifique, Bernard Gardette, pour lui demander de participer à cette expérience. Il répondit avec enthousiasme.

Pour bien situer les choses, l’objet de notre étude était une maladie tropicale, la bilharziose, dont souffrent des centaines de millions de personnes en Afrique, Asie et Amérique latine. Elle est provoquée par un petit ver de quelques millimètres qui se loge notamment dans la veine cave et dont les œufs s’égarent dans l’organisme, entrainant une inflammation, avec production de ce qu’on appelle espèces réactives de l’oxygène, autrement dit de l’oxygène sous forme chimiquement active. Il s’en suit des dommages tissulaires sévères, atteignant foie, vessie ou intestin.

L’oxygène est donc l’effecteur, l’agent responsable in fine de la maladie et, précisément, qu’est-ce qui, sur le plan physicochimique, est à l’opposé de l’oxygène : l’hydrogène.  Nous y voilà !

Au laboratoire, la maladie était étudiée chez la souris. Je dis était car l’utilisation d’animaux pour ce type de recherche est désormais interdite ; c’est justifié car il faut éviter autant que possible la souffrance animale, mais cela ne facilite pas un travail de recherche tout de même destiné à soulager des humains. Avec Bernard Gardette, nous avons choisi de placer les animaux dans une enceinte pressurisée, en présence d’hydrogène. Techniquement, les souris doivent respirer normalement de l’oxygène à une pression partielle normale, ajouté à de l’hydrogène haute pression, ceci pour des raisons de sécurité : dans ces conditions le mélange oxygène/hydrogène n’est pas inflammable. Il faut souligner que respirer de l’hydrogène n’entraine aucune sorte de gène, au contraire tend à soulager.

Au terme de quinze jours, les animaux de l’enceinte ont été comparés à ceux qui n’avaient pas respiré d’hydrogène, et à ceux qui avaient respiré un mélange où l’hydrogène avait été remplacé par de l’azote. Le résultat était probant : l’hydrogène avait bien protégé les souris. Ce travail a été publié dans les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences (2).

Avec le recul, cette expérience était maladroite. La pathologie choisie était trop complexe et le mode d’administration de l’hydrogène trop laborieux. Néanmoins ce fut la première démonstration de l’effet anti-inflammatoire de l’hydrogène, un travail princeps qui ne passa pas inaperçu : de nombreux chercheurs, de la Chine au Canada, se sont référés à notre publication et ont repris le flambeau.

Je le dis avec une satisfaction que je crois justifiée, nous avons donné le signal de départ d’une recherche internationale intensive. A ce jour, l’effet protecteur de l’hydrogène a été démontré dans 170 maladies différentes (3), incluant des pathologies aussi variées que dysfonctionnements métaboliques, ischémies (troubles circulatoires), cancers (4). Au-delà des situations pathologiques, l’hydrogène s’avère protecteur dans toutes les conditions où se produit une inflammation « à bas bruit », comme le sport.

Après nous, d’autres modes d’administration de l’hydrogène ont été explorés, le plus simple étant l’eau gazeuse, saturée en hydrogène dite hydrogen-rich water, à la manière de n’importe quelle eau gazeuse. Comme le précisait David Jones, l’hydrogène à l’avantage d’être très diffusible et de se répandre librement dans l’organisme, de sorte qu’il peut atteindre facilement tous les sites inflammés.

Cette eau hydrogénée pourrait être consommée couramment, sans inconvénient, sans effet néfaste, pour soulager les petits problèmes de santé de la vie courante, fatigue, courbatures, etc… Mais peut-être pourrait-on espérer plus, comme combattre des maladies inflammatoires graves, comme la polyarthrite rhumatoïde, et même en prévention contre les formes grave du covid-19 (5).

Les voies empruntées par l’hydrogène pour produire ses effets protecteurs sont multiples et toutes ne sont pas encore explorées. En premier, comme on l’a vu, l’hydrogène neutralise les espèces réactives de l’oxygène, responsables de ce qu’on appelle couramment le stress oxydatif. Il faut dire que sur terre nous vivons « dangereusement » : l’évolution a fait que l’oxygène nous est indispensable, il nous est pourtant hautement toxique (6).

En résumé, hydrogène et oxygène sont le Yin et le Yang de la vie. Le premier est primordial, originel. Il est le composant essentiel et le combustible du soleil. Les deux sont associés dans la molécule d’eau, l’élément le plus répandu sur terre, et les organismes vivants photosynthétiques les séparent (voir la rubrique La cassure de l’eau) pour utiliser l’hydrogène comme source d’énergie, avec l’oxygène en bout de chaîne. C’est le principe de la machine à vapeur : d’un côté elle est produite et de l’autre elle est éliminée pour créer une différence de pression. De la même façon, l’hydrogène est utilisé pour générer des électrons, lesquels sont ensuite éliminés, pour créer l’équivalent d’une différence de potentiel. Et c’est précisément l’oxygène qui joue le rôle de fossoyeur d’électrons. D’où son importance : sans oxygène, plus de différence de potentiel, donc plus de vie (7).

  1. Jones, David. Gas therapy, Nature, 1996; 383:676.
  2. Gharib, B. et al. Anti-inflammatory properties of molecular hydrogen: investigation on parasite-induced liver inflammation, C RAcad Sci III, 324(8):719-24, 2001.
  3. Tao G. et al. Molecular hydrogen: current knowledge on mechanism in alleviating free radical damage and diseases. Acta Biochim Biophys Sin, 2019, 51(12) :1189-97.
  4. Li, S. et al. Hydrogen gas in cancer treatment, Front Oncol, 2019, 9:696
  5. https://science-sapience.fr/covid-19/
  6. On pense qu’au départ l’atmosphère terrestre était dépourvue d’oxygène, lequel a été apporté progressivement par les organismes photosynthétiques qui relâchent de l’oxygène. Les forêts primitives ont contribué de façon décisive à cet apport.
  7. Certains organismes vivent en l’absence d’oxygène ; ils ont donc développé d’autres mécanismes pour produire leur énergie, comme l’oxydo-réduction du soufre.
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