Je me présente Max de Reggi

Je suis né dans une famille ouvrière, à une époque où, comme mes camarades, je n’avais pas d’autre horizon que l’usine, l’atelier ou le chantier. Pas de télé, ni journaux, ni même livres à la maison. Pourtant, sans être réellement ambitieux, je pensais pouvoir viser très haut : après l’école primaire, rue Sidi Brahim, ce serait l’Ecole Vaucanson, pour préparer le métier d’ébéniste. Il faut dire que le travail du bois a toujours été un de mes plaisirs.

Je serai donc ébéniste, à condition toutefois de franchir la barrière du concours d’entrée, obstacle réputé très difficile (l’entrée à l’Ecole Vaucanson de Grenoble est toujours très sélective).

A partir de là, mon destin a pris la forme de plusieurs enseignants.

Le premier fut mon instituteur de CM2, dont j’ai hélas oublié le nom : à titre d’entrainement pour Vaucanson, me dit-il, tu dois passer le concours d’entrée en 6ème (il y avait alors un concours d’entrée). J’ignorais ce que pouvait bien être une 6ème, mais je m’exécutais sagement. Je fus admis, brillamment, cela va sans dire, et mon destin en profita pour me laisser croire que je n’avais plus d’autre choix que d’intégrer le lycée.

Le lycée, quésaco, et pour quoi faire ? Se tint alors un conseil de famille où, pour mettre fin à la perplexité générale, je proposais comme but le brevet de la classe de 3ème. Un examen, donc, dans un avenir pas trop lointain, cela rassurait. La motion fut adoptée à l’unanimité, mon père étant le seul votant.

Nous vivions en dehors de la ville, sur les pentes du Moucherotte, que j’explorais de haut en bas et de gauche à droite, en toutes saisons, chaussé ou nu-pieds, dès que j’en avais le temps. Les plantes étaient mon univers : j’entrepris de confectionner un herbier. Voyant cela, intervint un autre instituteur, surgi tout droit du XIXe et de l’école républicaine de Jules Ferry. Cet homme, grand, digne, sous un large chapeau, me conseilla vivement d’apprendre le latin qui, depuis Linné, est utilisé pour nommer les plantes, comme tous les êtres vivants. Je n’en fis rien. Pour les quelques dizaines de racines latines ou grecques que j’allais rencontrer, je ne voulais pas m’encombrer l’esprit de langues mortes. J’avais tant de choses bien plus intéressantes à apprendre.

Latin et grec ancien étaient alors ce que sont aujourd’hui maths et physique: la marque de l’élite. Mon refus me relégua au Collège Moderne de Garçons de Grenoble, où je rencontrais un remarquable professeur de Sciences Naturelles (aujourd’hui SVT) dont j’ai malheureusement oublié le nom, une fois de plus. Pour lui, la vie s’apprend dans la nature ; point de leçons magistrales, il nous mettait entre les mains ce qu’il avait récolté, souvent des plantes, à nous de décrire leur structure et en déduire leur mode de vie. Pour moi ce fut La Révélation, avec un grand R (je fus bien le seul de la classe). C’était décidé : je serais professeur de Sciences Naturelles. C’était une évidence, non seulement pour moi mais aussi, étonnamment, pour tous mes camarades.

Glissons sur l’année de terminale au lycée Champollion, où le prof de biologie a bien failli me dégouter de cette discipline. D’ailleurs je ratais le bac à la première session. Ensuite la fac, à Grenoble puis Lyon.

A Lyon, je dégringolais à vélo de la Croix-Rousse jusqu’au Quai Claude-Bernard. J’appuyais mon engin sur les murs de la fac et j’entrais pour suivre assidument tous les cours, que je notais avec application sur de grands cahiers. A la sortie de l’amphi je remontais sur ma machine et regagnais tranquillement la Croix-Rousse, ce que mes camarades prenaient pour la marque d’un esprit supérieur, eux qui ne perdaient pas une minute pour potasser. En fait ce n’était de ma part que désinvolture, ou plutôt inconscience. Le soir, avec les copains, c’étaient discussions, repas ou sorties, jusqu’à minuit. Le lendemain à 7 heures je me secouais et le cycle – c’est le cas de le dire – reprenait son cours.

Le destin – toujours lui – intervint fort heureusement pour disperser les copains peu avant mes examens. Il me restait ainsi un mois pour ouvrir la pile affolante de mes cahiers et tenter d’en avaler le contenu. Une des plus rudes périodes de ma vie : un mois pratiquement sans dormir ; apprendre, jusqu’à l’étourdissement.

Résultat, je passais tous mes examens, mais à la limite : par deux fois je fus le dernier de la liste. Que vaudrait actuellement mon CV, face aux mentions Très-Bien que doit exhiber obligatoirement tout candidat, quel que soit le poste visé ?

C’est à ce moment crucial que mon destin pris la forme d’un Monsieur remarquable. Comment oublier son nom : Jean-Marie Legay. De ce Monsieur, dont certains ont fait l’éloge bien mieux que je ne pourrais le faire (1), je dirais simplement que je lui dois la vie, la vie scientifique, cela s’entend, mais la science est indissociable de ma vie. Il m’a admis dans son équipe, malgré mes références catastrophiques, et m’a montré un chemin qui restera toujours le mien.

La suite fut un long fleuve tranquille, comme le dit Etienne Chatiliez, autrement dit ce fut tout sauf tranquille. J’allais où me conduisaient ma curiosité scientifique, les circonstances, les rencontres, avec des belles réussites, comme de retentissants échecs. Résultat, le vieux routard de la science que je suis devenu invite les internautes qui le voudront bien le suivre dans une promenade dans le vaste monde que j’ai côtoyé, partant des plus petits organismes jusqu’à englober l’univers.

Tout cela est bel et bon, mais que vaut la science si elle ne contribue pas à soulager les souffrances ? Avec nos collaborateurs, nous avons travaillé sur les terribles fléaux, dont les maladies dégénératives, Parkinson, Alzheimer ou d’autres, et par chance nous avons obtenu d’excellents résultats, oui mais c’était chez la souris.

Si nous avons pu le faire chez la souris, alors pourquoi pas chez l’homme ? Mais là c’est une autre histoire.

(1) Lire Jean-Marie Legay, le scientifique, l’humaniste et le novateur dans Natures Sciences Sociétés 2013/1 p.99-101, par Alain Pavé [que je salue au passage].